Enfants et programmation : ma réponse à une mère anti-écran

L'approche créative des nouvelles technologies, du web et du code dépasse la vision hygiéniste de la technologie, la triste 'diète des écrans'

À l’occasion du second Coding Goûter, je publie une courte série d’article. Retrouvez les sur ils.sont.la

Quelques semaines avant le premier Coding Goûter, j’ai lancé une petite enquête sur “Enfants et programmation”. Par exemple, à quel âges les parents pensent-ils que leurs enfants peuvent apprendre à programmer ? Et quel serait les motivations des parents ?

Immédiatement, j’ai vu que le consensus sur le sujet était loin d’exister ! Les réponses très diverses, presque du cas par cas, correspondent à notre époque de transition.

Une hérésie anti-pédagogique ?

Et puis, j’ai reçu une réaction, par email, choquée, courte et dense, qui résumait finalement une position souvent entendue : Programmation et enfants ? Une hérésie éducative, car “les écrans” sont dangereux pour les enfants.

Pour répondre, j’ai du repartir de zéro. Tenter d’expliquer rapidement les enjeux personnels et sociaux majeurs de l’apprentissage de la programmation durant l’enfance – et aussi, en passant, critiquer à toute vitesse une star de la gestion hygiéniste de la technologie.

Emma et Jeanne écrivent des commandes Robomind

Une réaction choquée

Mais avant de lire ma réponse, voici cette réaction choquée – prenez-la comme je l’ai pris, comme venant d’une personne qui a, elle aussi, les enfants et leur épanouissement comme priorité.

«Je vous transmets le message pas hyper sympa, que j’ai envoyé à Sarah [qui lui a transmis l’enquête “Programmation et enfants” – Julien]

Je me suis calmée depuis mais maintien ma position. Les kaplas [un jeu de construction – Julien], les histoires qu’on se raconte c’est si important dans la construction et le développement d’un enfant !

Cordialement cependant, Anne, pédiatre et mère de 4 enfants

Tu vas me trouver ringarde et provinciale, mais je suis scotchée quand je lis cette “enquête”; tous les pédopsychiatres sont unanimes: pas d’écran avant 3 ans; de jeux vidéos, Nintendo DS, avant 6 ans; internet “accompagné” à partir de 9 ans.

Donc l’apprentissage de la programmation pour des gamines de 2 et 6 ans ça me laisse rêveuse.

Enfin, ton ami voulait savoir ce que les autres parents en pensent, c’est fait !»

«liberté, exploration, maîtrise, créativité»

Et voici ma réponse, légèrement éditée ici pour être plus claire et garder juste l’essentiel :

Je vous réponds aussi brièvement que possible pour vous expliquer ma position.

Serge Tisseron (puisque c’est lui qui a inventé cette fameuse règle des 3 6 9 12, a ma connaissance sans aucune base scientifique) fait une erreur de base en mélangeant sous le terme d’écran des *activités* aussi diverses que la lecture de wikipedia, les jeux vidéo mono-joueur, multi-joueur, la télévision, la communication par chat ou email, la création musicale, etc.

C’est comme si on parlait de “papier” sans distinguer une affiche d’un roman.

L’écran n’existe que pour ceux qui ne savent pas distinguer les activités dont il est la simple fenêtre.

 

Je considère le principe de Tisseron comme naïf et simpliste. Et même un vrai danger pour les futurs adultes, car il prêche le contraire de l’autonomie et de la maîtrise des outils par les enfants. Il conforte les parents dans une sorte de diabolisation. Cela me fait penser à ces gens qui font l’autruche sur la sexualité  ou la drogue, avec des principes inopérants, au lieu de donner à leurs enfants le savoir et la capacité de prendre eux même les bonnes décisions.

 

Mon expérience de l’informatique est à l’opposé de cette vision drug-like : liberté, exploration, maîtrise, créativité

Si je m’en réfère à mon entourage professionnel, le bon âge pour apprendre un langage de programmation (car c’est de l’écriture, structurée, qui demande de réfléchir et d’analyser le problème pour atteindre le but) c’est 8/9 ans, avec bien sur un boom au niveau créativité vers 12, 13 ans. Comme toujours il y a des cas plus précoce.

Personnellement j’ai programmé entre 9 et 13 ans, ensuite j’ai surtout travaillé la typographie et le graphisme. Et, oui, j’ai parfois beaucoup joué au jeu vidéo enfant ou adolescent *par période*, avant de passer à autre chose (mon kit de chimie !)

Anecdote: saviez-vous que le plus jeune contributeur au logiciel libre Drupal — utilisé par rue89, la maison blanche ou encore différents ministères pour leur sites web — avait 14 ans ?

 

Au final, je préfère que ma fille aînée fasse des activités variées, comme tout parent. Danser, nager, écouter des histoires, dessiner, et aussi explorer les outils à sa disposition.

Quel est l’outil plus puissant, plus libérateur pour les individus, que l’ordinateur personnel, aujourd’hui ?

Je n’en vois aucun.

Programmer c’est plier la machine à ses désirs, et de ça aussi, nous avons besoin.

Un dessin sur l'écran d'un ordinateur dessiné… meta !

Quelques jours plus tard, j’ai reçu un nouveau message de Anne. Et cette phrase m’a fait plaisir :

Merci de votre réponse sympa et détaillée, qui est bizarrement parvenue à ébranler mes convictions !

Dépasser l’hygiène de l’écran

L’ensemble des projets dans lesquels je m’implique repose sur la capacité des gens à s’approprier le numérique pour imaginer et réaliser… ce qui n’existe pas encore !

Switch On Switch Off, Dorkbot Paris, Museomix, ArtGame weekend, le Coding Goûter

C’est une approche créative des nouvelles technologies, du web et du code.

Cette approche créative dépasse de loin la vision hygiéniste de la “diète des écrans”, empreinte d’impuissance et de panique morale.

Il a fallu des siècles pour que la culture de l’écrit soit enseignée à tous (ici, du moins). Nous pouvons aller plus vite pour la culture numérique, bien plus vite. C’est une question de liberté et d’égalité.